«L’utérus d’une femme n’est pas un Airbnb»
INTERVIEW La psychologue clinicienne Marie-Estelle Dupont s’exprime sans détour sur la gestation pour autrui (GPA), un sujet qui continue de diviser l’opinion. Récemment installée à Lausanne, cette professionnelle reconnue en France pour ses prises de position éclairées sur des questions de société aborde les dimensions éthiques, médicales et psychologiques de cette pratique controversée. Auteure et animatrice, elle défend l’idée que le lien mère-enfant ne peut être ignoré sans conséquence. Nous l’avons rencontrée pour un entretien approfondi.
Un mensonge même asséné mille fois et gobé par une majorité, ne deviendra jamais pour autant une vérité.
Pour elle, «la GPA, c’est l’obscurantisme absolu!» Marie-Estelle Dupont a le sens de la formule qui fait mouche, mais aussi et surtout des arguments pour l’étayer. Durant la «crise sanitaire», la psychologue clinicienne parisienne de 43 ans fut l’une des premières professionnelles à s’élever contre le port du masque par les enfants à l’école. À l’époque, elle mettait en garde sur les dégâts de développement que cette pratique inutile, et la culpabilisation délétère qui la sous-tendait, entrainerait chez de trop nombreux jeunes enfants. La réalité et les années lui ont malheureusement donné raison…
La Française a le verbe haut, les idées claires et le regard fier de celles qui ne se soumettent pas facilement ni au politiquement correct ni aux dogmes sociétaux en vogue. Pour elle, un mensonge même asséné mille fois et gobé par une majorité, ne deviendra jamais pour autant une vérité. C’est notamment grâce à cette franchise décomplexée que cette professionnelle de la santé psychique s’est imposé comme une personnalité dans plusieurs grands médias français. Depuis août dernier, la Française co-anime d’ailleurs sa propre émission quotidienne de psychologie Et si on en parlait? sur Europe 1. En parallèle, celle qui est aussi auteure de quatre livres de vulgarisation et d’un cinquième de témoignage, officie comme directrice de collection aux éditions Albin Michel.
C’est dans un établissement public lausannois, où elle a ses habitudes, que la médiatique psychologue nous a accordé une interview. La fringante maman de trois enfants - un garçon de 15 ans et des jumeaux de 5 ans et demi - a en effet quitté Paris en août pour s’installer dans la capitale vaudoise. «En Suisse, le débat sur les questions clivantes me semble se dérouler encore dans un certain respect et une écoute qu’on trouve de plus en plus rarement en France», constate-t-elle d’ailleurs d’emblée. La remarque vaut également évidemment pour le thème qui nous réunit et dont l’appellation officielle est «Gestation pour autrui» ou «GPA». C’est sur ce point d’ailleurs que s’ouvre l’entretien.
«La "GPA" est une aberration anthropologique et également une attaque contre les mères et les femmes. On est en train de décorréler sexualité et reproduction et de retirer la maternité à la mère.»
Pour vous, le sigle «GPA» est déjà problématique en soi. En quoi?
Cet acronyme escamote la réalité. Le «pour autrui» relève d’un glissement sémantique manipulateur. Cette appellation génère une image positive d’une pratique consistant en réalité à louer une femme et à acheter un bébé. Sur cette thématique comme sur celle de l’euthanasie ou d’autres, les mots sont utilisés pour imposer des positionnements idéologiques. De nombreux médias suivent malheureusement sans recul et recouvrent parfois de confiture «gnangnan» et sentimentaliste des exceptions pour les maquiller en belles histoires. Malgré cela, la «GPA» reste une pratique obscurantiste, ne tenant pas la route sur les plans juridique, médical, éthique, philosophique, anthropologique et humain.
Et que dire de l’étiquetage «GPA éthique»?
Lorsqu’on adosse l’adjectif «éthique» à une chose, c’est souvent précisemment parce qu’elle ne l’est pas. La dignité humaine est inaliénable et on ne peut pas dire «je loue ton utérus et je te respecte». Dès lors, il n’y a pas de «GPA éthique» possible. Cette pratique s’inscrit d’ailleurs dans un vertige de toute puissance, où l’homme veut tout contrôler de la vie à la mort. Dans une «GPA», le contrat est parfois rompu. Il arrive par exemple qu’on oblige une mère qui attend des jumeaux à avorter, car les parents d’intention ne voulaient qu’un seul enfant. C’est un esclavage moderne abject avec des femmes qui parfois se suicident après, avec des enfants qu’on n’est pas allé chercher dans des «fermes à bébé », comme cela est arrivé pendant le covid. Ces dérives sont si intolérables que beaucoup de pays inscrivent l’interdiction de la «GPA» dans leur constitution. (ndlr : le 23 août dernier, un rapport de l’Onu soulignait de son côté que la «GPA» est une violence faite aux femmes et qu’elle doit être «éradiquée sous toutes ses formes»)
Vous semble-il que les gens se laissent berner par ces « tartufferies langagières»?
Une bonne partie de l’opinion publique ne mesure pas pleinement la gravité de l’acte, par méconnaissance de la puissance des liens d’attachement existant entre un bébé et sa mère biologique. Le microchimérisme materno-fœtal nous a appris qu’on retrouve des cellules de l’enfant dans le corps de sa mère, et vice-versa, jusqu’à 27 ans après la naissance. Un bébé séparé de sa mère régule moins bien ses émotions et son stress. On ne peut pas d’un côté demander à la mère de faire très attention à ses comportements pendant la grossesse, car ils peuvent avoir des implications réelles à vie sur son bébé, et dans le même temps faire comme si arracher un nourrisson à la femme qui l’a porté pendant neuf mois n’avait aucunes conséquences… Cela n’a aucun sens, mais c’est pourtant ce que certains tentent de nous vendre avec un discours bien ficelé sur des bons sentiments pseudo inclusifs. Jusqu’à six mois, un bébé ne fait pas de différence entre son corps et celui de sa mère. Les enfants nés de «GPA» se construisent de leur mieux sur une amputation fondatrice. Mais, comme le montre le cas d’Olivia Maurel (ndrl : lire son livre choc «Où es-tu, Maman? : Le témoignage poignant d’une femme née par «GPA»», 2025, édition du Rocher), ce n’est pas anodin. Chacun a besoin de connaitre sa filiation. Sans juger les parents d’intention et en dépit de tous leurs efforts d’éducation, ne faisons pas passer pour de l’altruisme ce qui demeure de manière factuelle la location d’un utérus et la vente d’un enfant.
«Un enfant est un devoir! Qu’on l’accueille ou qu’on l’adopte, on n’a de droit ni sur lui ni à lui, mais uniquement des devoirs.»
Que dire de la violence faite aux mères dites «porteuses » dans les «GPA»?
Tout d’abord, ces femmes agissent avec un discernement qui est altéré par la misère. Elles louent leur utérus pour survivre. La grossesse est un évènement imprédictible. Parfois la mère croit s’être engagée dans un processus relativement anodin psychiquement, mais au final, elle s’est tellement investie qu’abandonner son petit à la naissance lui devient insupportable. Ces femmes sont mal vues socialement dans leur communauté. Elles sont aussi soumises à des injonctions paradoxales délétères. D’un côté, elles doivent être dévolues corps et âme pendant neuf mois au bébé, et dans le même temps ne pas trop l’investir émotionnellement. Ce «travail» implique que 24h sur 24, leur sexualité, leurs déplacements ou encore leur alimentation et leur sommeil soient comme sous contrôle de leurs «clients » et «employeurs». De plus, il y a aussi des risques pour leur santé physique. On constate en effet que des complications qui n’existaient presque plus dans des grossesses naturelles ressurgissent lors de « GPA».
Votre point de vue sur la «GPA» vous vaut-elle des problèmes?
L’insulte, la calomnie ou la tentative de disqualification font parties des risques qu’on prend lorsqu’on s’expose médiatiquement. Pour moi, le psychologue a de toute façon un devoir déontologique de rappeler certaines réalités. Et si le débat public est infiltré par de l’hystérie et des attaques de militants, c’est regrettable mais c’est finalement leur problème. Je continuerai quoi qu’il en soit à dire ce que j’ai appris, puis vérifié dans ma pratique et dans mon expérience personnelle de mère : à savoir qu’un petit bébé humain a besoin, dans la mesure du possible, de ne pas être séparé trop vite de sa mère. Quand certains militants pro «GPA» m’insultent, c’est surtout la preuve qu’ils n’ont pas d’arguments solides. Mais en réalité, dans la rue, les gens me disent surtout merci et cela me touche. Merci de remettre l’église au milieu du village. Merci de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Merci de rappeler des évidences…
Finalement, vous rappelez effectivement souvent des évidences, par exemple que la «GPA» n’est pas une réponse valable à l’infertilité…
Le néo-progressisme nous parle en permanence du bien, de l’égalité et de la tolérance. Mais il coupe l’homme de ses racines animales et de ses ailes spirituelle, et il est pourtant en train d’instrumentaliser la science pour rendre possibles des choses qui ne sont pas médicales, en les faisant passer pour médicales. La « GPA» n’est effectivement pas un traitement tout court. Notons aussi que sa légalisation dans certains pays met des médecins en position de renier leur serment d’Hippocrate, lequel dit «d’abord ne pas nuire».
La «GPA» est sous-tendue par l’idée que l’enfant est un droit. Que dire sur ce point central?
Il n’y a pas de droit à l’enfant. L’utérus d’une femme n’est pas un Airbnb. Notre malheur ne justifie pas de réduire une autre femme au statut d’appartement de location. Si la souffrance de l’infertilité ou tout autre souffrance était un argument valable pour obtenir des droits sur d’autres êtres humains, on rentrerait dans une compétition victimaire. Un enfant est un devoir! Qu’on l’accueille ou qu’on l’adopte, on n’a de droit ni sur lui ni à lui, mais uniquement des devoirs. Rappelons d’ailleurs au passage que réparer un abandon par l’adoption et programmer d’arracher un bébé au ventre qui l’a porté, ce n’est pas du tout la même chose! Car, cela ne semble pas être évident pour tout le monde…
Qu’ajouter pour conclure?
Que la «GPA» est une aberration anthropologique et également une attaque contre les mères et les femmes. On est en train de décorréler sexualité et reproduction et de retirer la maternité à la mère. La Nature a voulu que les femmes mettent au monde les enfants et assurent leur survie et celle de l’espèce avec leur corps. Et maintenant, on nous dit que la vie peut naitre dans un utérus artificiel au cœur d’un labo. On s’achemine vers un totalitarisme et un bio pouvoir au sens de Hannah Arendt, c’est-à-dire qu’on veut que «l’homme soit superflu dans l’homme». On veut lui retirer sa dimension animale et humaine pour les remplacer par de la technologie. Pourtant, la liberté humaine ne consiste pas à négocier les conditions de son existence, telle que le sexe ou la grossesse, mais à voir ce que je peux faire avec ce que la réalité m’impose.