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Fenêtres à bébé: 25 ans, 31 vies sauvées… et un débat toujours vif

  • Laurent Grabet

Suisse | Aide d’urgence aux mères en détresse. Le 16 décembre dernier, une neuvième « Babyfenster » était inaugurée à Schwytz. Cette invention controversée, née en 2001 à  Einsiedeln (SZ) à l’initiative de l'Aide suisse pour la mère et l'enfant, pendant alémanique de la Fondation pour la Famille, a permis à ce jour de sauver 31 bébés en Suisse. Le point sur un quart de siècle de vie, fertile en rebondissements et en émotions.

Schwytz inaugure, Einsiedeln ferme: une page se tourne

Le mardi 16 décembre dernier, une nouvelle « Babyfenster » ouvrait sous les crépitements des flashs à l’hôpital cantonal de Schwytz, en présence des représentants de sept médias. C’était la neuvième « fenêtre à bébé » à être installée dans notre pays depuis 25 ans. Mais il n’y en a en réalité plus que huit au total, car celle-ci venait remplacer celle qui allait être fermée le jour même à une vingtaine de kilomètres de là, à Einsiedeln (SZ).  L’hôpital local ayant décidé de supprimer sa maternité, cela impliquait de fermer cette première « fenêtre » historique. Laquelle avait vu le jour, dans la controverse, en mai 2001, un dimanche de fête des mères. Le premier bébé y avait été déposé en septembre 2022. « À l’époque, cette solution avait choqué certaines personnes, qui déploraient notamment que le droit de ces bébés à connaître leur origine ne soit pas assuré, se souvient Dominik Müggler, mais il vaut beaucoup mieux ça que d’être retrouvé sans vie dans un sac poubelle ou un placard, comme cela est malheureusement déjà arrivé. Avec la fenêtre d’Einsiedeln, un symbole disparait… espérons que cette nouvelle fenêtre schwytzoise devienne un symbole d’espoir à son tour !»

Le Bâlois de 67 ans est le fondateur de l'Aide suisse pour la mère et l'enfant (ASME), soit la puissante association indépendante reconnue d’utilité publique d’inspiration chrétienne, qui a eu l’idée de ces fenêtres. C’est elle aussi qui les finance à hauteur parfois de 100'000 fr l’une grâce à la générosité de ses donateurs.

Trois minutes, une alarme, une vie: comment ça marche

À Schwytz comme ailleurs, le principe est simple : les mamans en détresse peuvent déposer anonymement leur enfant dans un compartiment accessible depuis l’extérieur et disposant d’un lit chauffé, le renfermer puis s’en aller sans crainte d’être poursuivies pénalement. Trois minutes plus tard, une alarme retentit et le personnel médical vient récupérer l’enfant. L’objectif final est de prévenir les abandons sauvages et les infanticides.

Les chiffres qui pèsent: abandons et infanticides en recul

Et à en croire les chiffres de l’ASME, ils ont baissé de  quelques 70% depuis 2001. Pour mémoire, rien qu’entre 1997 et 2001 sur 4 ans, pas moins de 13 nouveau-nés avaient été abandonnés ou tués en Suisse, contre « seulement » 17 de 2001 à 2021 sur 20 ans, une fois les fenêtres à bébé mises en place !

Une idée née de drames

C’est la découverte d’un nourrisson tué dans un parc municipal de Bâle à l'été 1999, qui avait convaincu Dominik Müggler d’importer en Suisse le concept allemand des « Trappes à bébé ». La même année, le décès d’un autre bébé abandonné au bord du lac de Sihl, près d’Einsiedeln, avait aussi pesé lourd dans la balance. Même si ces fenêtres, sorte de version moderne des fameuses « Tours d’abandon » du Moyen-Âge, se sont imposées au fil des années comme une institution, elles continuent de déranger bien qu’il y en ait un millier dans le monde. Le comité sur les droits de l’enfant de l’ONU recommande ainsi leur interdiction. Pourquoi ? Principalement car cette pratique va à l’encontre du droit à connaitre son identité et d’être élevé par ses parents.

Le droit à l’identité face au droit à la vie

En 2005, le conseiller national Josef Zysiadis (Parti ouvrier et populaire/Canton de Vaud) demandait, via une motion au Parlement, la fermeture de la « fenêtre à bébé » d’Einsiedeln. À l’époque, le Conseil fédéral, avec la cheffe du département concerné, Simonetta Sommaruga, avait expliqué que l’installation d'une telle infrastructure « n'est tolérable qu'à la condition où elle sert d'aide d'urgence pour prévenir un meurtre ou un abandon d'enfant ». Sollicité à nouveau sur le sujet en 2016, suite à un postulat de la conseillère aux Etats et ex-sage-femme, Liliane Maury Pasquier (Parti socialiste/Canton de Genève), le Conseil fédéral avait fini par souligner cette évidence : « Sauver la vie d’un enfant pèse plus lourd dans la balance et de loin, que de lui garantir le droit à connaître ses origines. » Notons aussi que, dès 2001, une expertise légale du prestigieux cabinet d'avocats zurichois Homberger & Strehle avait certifié que la « fenêtre à bébé » répond aux exigences du droit suisse.

Quand les mères reviennent: reprendre l’enfant, ou laisser une trace

« Ces fenêtres apportent une solution de bon sens à un problème douloureux auquel restent confrontés certaines femmes désespérées aujourd’hui encore », confirme de son côté Franziska Föllmi. Aussi, la directrice de l’Hôpital de Schwytz, 46 ans n’a pas hésité lorsque sa cheffe sage-femme, Fabia Ambros, lui a proposé de reprendre la fenêtre à bébé d'Einsiedeln, voici une année. En 25 ans, 31 bébés ont ainsi été recueillis en Suisse dont le dernier à Olten en août. Et dans six de ces cas même, leurs mères se sont manifestées plus tard pour les récupérer et y sont parvenues grâce à l’aide de l’ASME. Sept autres mères se sont ensuite manifestées pour fournir à l'enfant des informations sur ses origines et son identité, sans toutefois reprendre le bébé, qui a donc été placé dans une famille adoptive. Légalement, les parents ont le droit de reprendre leur bébé, tant qu'il n'a pas été officiellement adopté, chose qui n’arrive qu’un an après son abandon au plus tôt.

D'un point de vue juridique, une mère qui abandonne son nouveau-né dans une « fenêtre à bébé » ne risque rien, ce qui n’est évidemment pas le cas si elle l’abandonne n’importe où ailleurs. Son geste désespéré n'enfreint en effet aucune loi du Code pénal. Ni celle concernant l'abandon (art. 127) ni celle concernant le devoir de soin et d'éducation des parents (art. 219). Et vu que selon l’article 265c du Code civil, on peut se dispenser de l'accord d'adoption d'un des parents si l'on ignore son lieu de résidence, son identité n’est pas automatiquement recherchée. Et même si on retrouve sa trace, elle n’est pas non plus soumise à son devoir parental de soutien financier. Les parents ont donc le droit de récupérer leur bébé. L’ASME leur met gratuitement à disposition une aide financière et sociale, afin d'envisager un avenir radieux avec l’enfant.

En Suisse, il manque encore 4 « babyfenster »

Il y a aujourd’hui une boîte à bébé à Olten (SO), à Berne, à Bâle, à Davos (GR), à Bellinzone (TI), à Zollikerberg (ZH) et à Sion (VS). La valaisanne reste d’ailleurs à ce jour la seule en Suisse romande. Elle y avait été implantée en février 2016 à l’hôpital local, suite à  une motion conjointement déposée au Grand Conseil valaisan par l’UDC et l’ex-PDC. À ce jour, elle n'est toujours pas coordonnée avec le projet suisse « Babyfenster ». « Lors de la concrétisation de ce projet, la conseillère d’Etat valaisanne socialiste, Esther Kalbermatten, avait en effet préféré gérer la fenêtre à bébé de manière indépendante, sans collaborer avec le projet national d'aide d'urgence aux mères désespérées.», se souvient avec regret Dominik Müggler. Selon lui, cela explique le fait que cette fenêtre n’ait encore jamais reçu de bébé. La fenêtre sédunoise ne figure en effet pas sur le site internet babyfenster.ch. Or c’est souvent en passant par là que les mères en détresse localisent la fenêtre la plus proche de chez elles.

La distance, parlons-en d’ailleurs, car c’est un point crucial pour Dominik Müggler et ses troupes. Ils estiment qu’il doit y avoir une fenêtre dans un rayon de 50 km de la mère concernée, « pour qu’elle trouve la force de s’y rendre ». Selon ces spécialistes, il en manquerait encore quatre pour que tout le pays soit couvert. Les régions pour l’instant trop éloignées sont la région lémanique, le jura neuchâtelois, le sud du canton de Berne et la région de Saint-Gall. L’ASME ne ménage pas ses efforts pour tenter d’y concrétiser des projets, mais « c’est aussi la responsabilité de chaque clinique ou hôpital des régions concernées disposant d’une maternité », estime Dominik Müggler.

La Suisse romande à la traîne

Bizarrement, la Suisse romande ne compte donc qu’une fenêtre. Pourtant, selon un sondage, 92% de la population suisse voit désormais d’un bon œil la solution de dernier recours que constituent les fenêtres à bébé. Et cette proportion est même plus élevée de notre côté de la Sarine.  Notons que fin 2011, un projet de  « Babyfenster » avait été refusé d’une seule voix par le conseil d’administration de l’hôpital Daler de Fribourg. Mais, si un tel projet devait réémerger à l’avenir, l’ASME ne le soutiendrait plus, car depuis 2013, les Fribourgeoises en détresse peuvent se tourner vers la fenêtre voisine de Berne. Sur Vaud, la proposition d’implanter une fenêtre à bébé avait été refusée en 2003. Pourtant, en 2010, juste après la découverte d’un nouveau-né dans des toilettes publiques à Morges (VD), un sondage montrait que 70% des Vaudois estimaient qu’une «fenêtre à bébé» était nécessaire dans le canton. Du côté de Genève, un embryon de projet est actuellement sous la loupe d’une étudiante en médecine.

« Je crois que nos projets en Romandie peinent à se concrétiser car il y a un malentendu. Chez vous, nos fenêtres sont trop souvent perçues à tort comme des projets contre la solution des délais, alors que les 12 semaines au début de la grossesse sont très éloignées du moment immédiatement après la naissance. Résultat : on ressent souvent une certaine aversion des élus et des médias. Pourtant notre but n’est que de sauver des vies », confie Dominik Müggler. Il est vrai que ce père de six enfants, dirige en parallèle diverses associations « Pro Vie », qui vont trop loin pour les partisans de l'avortement. Dominik Müggler ajoute que parmi les quelque 1 000 fenêtres à bébé dans le monde, aucune n'est gérée par des partisans de l'avortement, mais toujours par des défenseurs de la vie. La sage-femme Fabia Ambros ne se soucie pas de ces polémiques. Pour elle, la fenêtre à bébé est simplement «  un projet de cœur, pour les femmes et pour les bébés ! »


Des trajectoires de vie bouleversantes

TÉMOIGNAGES La désormais longue histoire de ces Fenêtres, qui célébreront leur quart de siècle d’existence en 2026, est jalonnée de trajectoires poignantes.

Ainsi, en septembre 2021, Camille* (Prénom d’emprunt) témoignait anonymement dans le Blick de son expérience. Cette Alémanique de 39 ans avait accouché de sa petite fille dans ses toilettes. Etant sous le coup d’un puissant déni de grossesse, elle ne s’y attendait pas du tout. Sous le choc, cette mère malgré elle, avait fini par déposer le nourrisson quelques jours plus tard dans la boîte de l’hôpital de Bâle. « J’avais très peur. Sur le moment, je voulais mourir. Mais je souhaitais aussi que mon bébé soit entre de bonnes mains, ce qui n’était pas le cas avec moi », explique-t-elle. Quelques semaines plus tard, la trentenaire se ravise et finit par revoir et récupérer sa petite. Elle la prénommera finalement Victoire, « car ma fille restera la plus grande victoire de ma vie ». Aujourd’hui, cette mère est employée par l’ASME.

Sur le site de l’association, on trouve aussi des mots touchants, laissés derrière elles par des mamans à leur bébé. « Nous ne voulons que le meilleur pour lui et ça nous brise le cœur, mais on n'est actuellement pas dans la meilleure situation pour lui offrir ce qu'il y a de mieux. S'il vous plaît, soignez-le bien et occupez-vous bien de lui, il le mérite. On voudrait l'appeler Lars, ce serait bien. On l'aime et on pensera toujours à lui! Merci de conserver la lettre et de lui montrer quand il sera assez grand, pour qu'il sache qu'il comptait, et compte encore, pour nous! », avait ainsi écrit un couple.

Ou encore cette autre maman déchirée, laquelle confiait à sa fille : « Chère Felicitas, j'espère que tu me pardonneras un jour de t'avoir abandonnée. J'ai fait ça parce que je pense que tu seras mieux dans une famille qui veut un enfant depuis longtemps et qui peut t'offrir beaucoup de temps et d'amour. Moi, j'ai vécu les plus belles heures de ma vie près de toi. Tu étais le plus beau bébé que j'ai jamais vu. Je te souhaite de réussir mieux que moi et j'espère que tu deviendras un jour une bonne mère. Je prie Dieu qu'on se revoie. Je t'aime. Ta maman. »

 

 

 

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