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L’Amour qui ne déçoit pas

  • Laurent Deffeyes

LUMIÈRE. Le rayonnement de Chiara Corbella Petrillo, jeune mère de famille italienne, décédée en 2012 à l’âge de 28 ans ne cesse de grandir. Toute leur vie, ensemble, elle et son mari Enrico ont dit oui. Leur amour a donné corps à trois enfants. Les deux premiers n’ont vécu que quelques minutes mais ont porté de nombreux fruits. Nous vous racontons l’histoire de cette famille exceptionnelle. 

C’est une belle jeune femme brune. Un magnifique sourire illumine son visage. Son œil droit est recouvert d’un pansement blanc. Il devrait contredire la joie émanant d’elle mais n’y parvient pas. Bien au contraire. Plusieurs fois çà et là, j’avais entrevu cette célèbre photo de Chiara Corbella Petrillo. Un jour posée au coin d’une église, un autre à l’entrée d’un monastère ou sur internet. A chaque fois, la jeune femme m’avait frappé mais jamais je n’avais creusé. Qui est-elle ? Qu’est-ce qui au fond de son regard fait écho au Vrai en moi ? La graine sans doute s’était plantée en mon for intérieur ces premières fois-là et attendait des jours meilleurs pour germer. 

Ce fut le cas en juillet dernier du côté de Saint-Maurice à l’occasion du bien nommé Metanoïa festival. Là encore, la fameuse photo reposait au milieu d’autres sur un présentoir. En bas du portrait figuraient deux dates en lettres blanches. La première marquant évidemment la naissance de l’intéressée : 9 janvier 1984. Et l’autre celle de sa mort : 13 juin 2012. En haut du cliché une citation annonçait un peu mystérieusement : « Nous sommes nés et ne mourrons jamais plus ». Cette phrase me fit le même effet qu’une autre entrevue quelque mois auparavant sur le mur d’un couvent et qui disait : « Le Maître est là et Il te demande ».

Le lendemain, lors du festival catholique, des proches de Chiara devaient venir témoigner de sa vie dont j’ignorais tout alors. Je ne pus m’y rendre. Un peu déçu, je trouvais de quoi me consoler sur internet. C’est là tout d’abord, que comme des milliers d’autres, l’histoire de la jeune Italienne m’a touché en plein cœur. Sa trajectoire inspirante parle de maternité, d’acceptation, de deuil et de souffrance et comment par une alchimie un peu mystérieuse tout cela peut donner des fruits inattendus qui aujourd’hui encore nourrissent de nombreuses personnes de par le monde. 

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Chiara Corbella est une jeune Italienne née dans une famille catholique bourgeoise de Rome comme il en existe des milliers d’autres. La foi de sa mère Maria Anselma est fervente. C’est elle qui, dès l’âge de cinq ans, permet à sa fille cadette d’aiguiser la sienne notamment en fréquentant régulièrement la communauté charismatique du « Renouveau dans l’Esprit ». En 2002, Chiara a 18 ans. Elle n’en sait évidemment rien encore mais il ne lui reste que dix années à vivre. Mais quelles dix années ! 

Cet été-là, la Romaine est en vacances en Croatie avec un groupe de copains de lycée. Sa sœur Elisa, qui partage sa foi, est aussi de la partie. Toutes deux improvisent un détour par Medjugorje, petite ville bien connue de Bosnie-Herzégovine, comme étant depuis 1981 le théâtre de régulières apparitions mariales. Là, par un hasard qui n’en est pas un, Chiara rencontre Enrico Petrillo. Lui aussi est italien et très croyant. Il a cinq ans de plus qu’elle et se trouve à Medjugorje en pèlerinage avec un groupe de jeunes du renouveau charismatique. 

La Famille comme chemin de Sainteté

Chiara et lui tombent amoureux. Ils se mettent en couple rapidement et se fiancent. Mais comme souvent, passés les mirages de la « lune de miel », les premières difficultés et leur cortège de doutes surgissent entre eux. Pourtant, ils ont des ambitions pour leur couple. Ces ambitions sont à mille lieux de ces mirages hollywoodiens qui ne savent rien de l’Amour véritable et sèment pourtant cet « illettrisme » aux quatre vents comme paroles d’évangile.

Le couple et la famille sera leur chemin de Sainteté. Quelque chose en eux le pressent confusément et cela leur fait peur. Les amoureux doutent, se quittent, se rabibochent à de nombreuses reprises six années durant. Un pèlerinage de 200 km à pied, pendant dix jours, viendra finalement à bout de leurs dernières résistances. Au cours de ce périple, sur les conseils du Père Vito, le directeur spirituel de Chiara, ils prient beaucoup « pour que le Seigneur panse les plaies qu’ils se sont infligées ». Leurs cœurs s’ouvrent. Ils choisissent de se marier en 2008. 

Un mois à peine après la cérémonie, de retour de leur voyage de noces, ils découvrent que Chiara est enceinte. Joie et appréhension s’entremêlent. La jeune femme vient de s’inscrire en Master en Sciences politiques et seul Enrico travaille. Il officie comme physiothérapeute dans un service pour cancéreux en phase terminale. Leur situation matérielle ne semble pas idéale pour accueillir un enfant. Mais l’est-elle jamais vraiment ? Et puis à l’heure où tant d’autres jeunes peinent tout simplement à se rencontrer vraiment et lorsque c’est finalement fait peinent à être féconds, l’essentiel est là : un amour Vrai les unit. « Aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction », écrivait Antoine de Saint-Exupéry. Chiara et Enrico regardent vers le Christ. C’est ce qui les sauvera en donnant du sens aux souffrances qui les attendent.

La Vie a toujours raison

Le bébé à venir est une fille. Elle est atteinte d’anencéphalie, à savoir qu’elle n’a pas de boîte crânienne. Un handicap qui ne lui donne aucune chance de survivre après la naissance. Pour ses médecins, qui comme trop souvent ne connaissent la mort que sous un angle scientifique réducteur, l’avortement fait alors figure d’évidence. Une solution simple à un problème complexe qui s’impose en eux comme un réflexe conditionné. Chiara voit les choses d’un autre œil. Pour elle, avorter n’a jamais été une option. La vie qu’elle porte a une raison d’être. Elle est convaincue que ce n’est pas à elle d’en précipiter la fin. 

« Pour Chiara, accueillir sa fille, c’était apprendre la vraie humilité », écrit une amie de la disparue dans la biographie qu’elle lui a consacrée (ndlr : les références de cet ouvrage sont en fin d’article). « Maria Grazia Letizia a ouvert nos cœurs et la grâce est entrée, le vrai amour, le sens de la vie, l’éternité », confie de son côté Enrico dans ce même livre. Leur choix de garder leur fille tranche et dérange, parce qu’il montre qu’esquiver le mal est possible même lorsque, loin de la lumière de la conscience, ce mal s’est travesti en bien.

Des funérailles qui se transforment en fêtes

Le 10 juin 2009, Maria Grazia Letizia nait naturellement. Elle est vivante. Le Père Vito, arrivé en urgence avec un scootériste réquisitionné pour l’occasion, la baptise. Enrico porte ensuite la petite à l’extérieur de la chambre pour la présenter à la famille et aux proches qui tous sont très émus. Moins de 40 minutes après, la petite fille « nait au ciel ». Chiara et Enrico sont heureux et en paix. Ce qui semble incompréhensible à beaucoup de gens dans une telle situation. Ils étaient préparés au pire. Pas à autant de beauté. « Le jour de la naissance de Maria restera un des plus beaux souvenirs de ma vie et je pourrai raconter à tous les enfants que le Seigneur voudra bien nous donner qu’ils ont une sœur spéciale qui prie pour eux au ciel », écrivit Chiara par la suite. Les funérailles de l’enfant sont une fête. Ses parents sont vêtus de blanc. Enrico joue de la guitare et Chiara du violon. Les rares personnes qui ont osé venir sont bouleversées.

Quelques mois après, Chiara est de nouveau enceinte. Les échographies révèlent que son fils, qui sera prénommé Davide Giovanni, souffre d’une grave malformation viscérale au bassin et de l’absence des membres inférieurs. Rien de génétique là-dedans d’après les tests auquel le couple s’est soumis sur pression de la famille. Là encore, aucune révolte ni demande d’explications. Juste des larmes, de l’amour et des prières. Les Petrillos acceptent ce qui leur est donné, convaincus que cette situation porte en elle des graines de sagesse et d’amour. Ils aiment, rient, pleurent, partagent, avancent, grandissent.

Le petit David mourra lui aussi peu après sa naissance, le 24 juin 2010, juste après avoir été baptisé. Ses funérailles seront, elles aussi, vécues, contre toute attente, comme une fête. Chiara écrira : « Je remercie Dieu que grâce à Davide, le Goliath qui était en moi est enfin mort et mes yeux sont libres de regarder plus loin, de suivre Dieu sans avoir peur d’être celle que je suis. » Ces deux enfants ont permis  à leur mère de continuer de mourir à elle-même. Dans la souffrance et l’acceptation, elle s’est peu à peu délestée de la superficialité de ce que l’on croit, mordicus, être nous et dans laquelle nous pataugeons bien souvent tant bien que mal toutes nos vies durant. Chiara, elle, a renoué avec l’étincelle divine d’amour qui se cache derrière tout ça. Ce faisant, elle illumine durablement la vie de beaucoup de ceux qui croisent sa route.

Larmes de joie, de tristesse et de gratitude

Une troisième grossesse vient couronner ce chemin de foi et de grâces. Elle ira à son terme et le bébé, prénommé Francesco, sera en parfaite santé. Sauf que Chiara, alors qu’elle est encore enceinte, apprend qu’elle a un cancer. Un dilemme s’offre alors à elle et son mari. Soit ils choisissent de soigner Chiara rapidement et drastiquement en mettant en danger la vie de leur fils, soit ils attendent pour le préserver. Les Petrillo font le second choix, là encore dans un surprenant mélange de douleur et de sérénité. Francesco nait le 30 mai 2011 à 37 semaines mais en parfaite santé. Larmes de joie et de gratitude. Lumière.

Mais au fil des mois, la santé de Chiara se péjore. Les examens ne poussent pas à l’optimisme. Son « dragon », comme elle l’appelle, gagne du terrain.  Le 4 avril, un médecin prend son mari à part pour lui dire qu’elle est en fin de vie. Enrico emmène sa femme dans la chapelle de l’hôpital pour le lui annoncer. Aucun mot n’est prononcé mais Chiara comprend. Ils s’enlacent et se répètent les promesses échangées le jour de leur mariage. Le 17 avril, le couple embarque avec plus de 160 amis à bord d’un avion spécialement affrété pour Medjugorje. Quelque 140 autres les rejoindront sur place, là où tout avait commencé pour Chiara et Enrico. « De retour à la maison, Chiara se consume et perd peu à peu son énergie, une autre vie brille en elle, plus lumineuse. Son esprit gagne en puissance », explique une amie proche.

Lumineuse et amoureuse jusqu’au bout

 « Je vous aime. Je vous aime tous », sera parmi ses dernières paroles adressées à ses nombreux proches qu’elle recevra un à un. La phase d’agonie, que nos sociétés ne savent de plus en plus que réduire à une souffrance à esquiver à tout prix, commence. Enrico lui tient la main jusqu’au bout. Chiara meurt vers midi. Dans la pièce attenante bondée, tout le monde pleure. Enrico empoigne sa guitare et se met à chanter entouré de la sœur ainée de Chiara et de ses parents. Un sourire illumine le visage de la disparue. Enrico lui écrira : « En lui réside la vie et en toi j’ai vécu. Il m’a choisi parmi mille autres pour t’accompagner, Il m’a donné le courage de te dire Adieu. J’ai pensé que la joie était finie mais Francesco me le rappellera, il est la fidélité de Dieu. Il est l’amour qui ne déçoit pas. »

L’enterrement de Chiara Corbella Petrillo, dont des extraits poignants sont visibles sur youtube, est une fête. Il a lieu le 16 juin, jour du Cœur Immaculé de Marie. Deux milles personnes se pressent dans l’église. Enrico, ses amis, leur foi et leurs chants en font encore une fois une fête. Le jeune veuf contient ses larmes pour lire une longue lettre de sa femme à leur fils. Elle y disait : « La seule chose que je puisse te dire, c’est que l’amour constitue le centre de notre vie parce que nous naissons d’un acte d’amour, vivons pour aimer et pour être aimés, et nous mourrons pour connaître le véritable amour de Dieu. »

Chiara Petrillo est reconnue comme « Servante de Dieu » par l’Eglise catholique. Un processus de béatification la concernant est lancé. Elle pourrait être la première personne à être béatifiée pour « l’offrande de sa vie », une procédure de béatification et canonisation introduite par le Pape François en 2017. Mais le plus important est que sa lumière continue de rayonner dans les âmes et les cœurs de ceux qui l’ont connue de son vivant et de ceux qui en ont entendu parler par la suite.

Laurent Deffeyes

Plus de rens. : www.chiaracorbellapetrillo.it

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