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Sauver une vie, gagner un cœur

  • Stéphane Mercier
Comment parler à une amie qui envisage l’avortement ?
On ne s’adresse pas de même à un idéologue malveillant et à une personne dans la détresse. Pour clouer le bec à l’avocat des assassins qui font du meurtre des enfants à naître leur fonds de commerce, la plus grande fermeté est de mise. Mais la délicatesse s’impose dans un dialogue avec une amie désemparée se demandant si elle doit ou non garder son enfant.

Une touche de féminité sera aussi la bienvenue pour traiter ce sujet difficile, aussi m’appuierai-je sur des considérations empruntées à Stephanie Grey dans son beau livre Love Unleashes Life. Abortion and the Art of Communicating Truth (éd. Life Cycle, 2015 ; voir le site web : LoveUnleashesLife.com).

Grey est une militante canadienne qui donne des conférences pro-vie depuis l’âge de 18 ans ;  elle est notamment intervenue sur le sujet au quartier-général de Google en Californie en juin 2017. Que le géant des technologies et du web ait permis ce témoignage et l’ait rendu public en dit long sur l’intelligence de Grey, qui a su parler sans compromis aucun tout en faisant preuve d’une délicatesse désarmante : la quadrature du cercle !

Naturellement, un esprit chagrin fera valoir (avec raison peut-être) que la diffusion d’un message si contraire à l’idéologie dominante relève d’une stratégie de captatio benevolentiæ de la part de Google, qui ne cherche qu’à soigner son image de défenseur de la liberté. Je laisse à Dieu, « qui sonde les cœurs et les reins » (Ps 7, 10) le jugement sur les intentions des décideurs du groupe : seul m’importe ici le fait qu’un discours pro-vie a été diffusé sur la chaîne Youtube officielle des « Talks at Google », lui permettant d’être visionné plus de 180.000 fois à ce jour. Qui sait combien de vies menacées ont pu être sauvées grâce à Grey ce jour-là ?

Un tel succès n’est pas une invitation à nous reposer sur les lauriers de cette courageuse jeune femme, mais plutôt à lui emboîter le pas avec d’autant plus d’entrain qu’elle présente la cause pro-vie avec délicatesse et intelligence. Un total de 180.000 vues constitue incontestablement une belle performance, mais ne nous leurrons pas : Christopher Hitchens, un virulent polémiste athée, avait lui aussi été l’invité de Google pour un entretien (ou plutôt une charge contre la religion) qui, sur la même chaîne Youtube, a déjà été vu plus de 2,5 millions de fois. Et cela même est encore bien peu en comparaison des 6,5 milliards de vues pour le clip musical Despacito, qui, sans être une déclaration de guerre contre la religion, est une invitation à la sensualité la plus débridée. Or c’est là une marque d’athéisme ou d’un paganisme de fait, puisque le sexe est l’argument de vente par excellence de tout ce qui flatte la chair, comme le notait déjà le poète latin Martial (Épigrammes, livre I, 36.5 : non possunt sine mentula placere).

La délicatesse, donc. À diverses reprises, Stephanie Grey a été amenée à conseiller des gens désireux de trouver les mots capables non de vaincre un dialecticien, mais de gagner un cœur à la cause de la vie. Une amie désemparée croit devoir avorter pour écarter la menace qui pèse sur son existence avec la venue d’un enfant ; le « Planning familial » acquis à Moloch l’encourage dans cette voie de carnage : que lui dire pour gagner son cœur, que lui dire pour sauver une vie fragile et menacée par une société devenue folle ?

*****

Grey propose de suivre quatre étapes toutes simples pour conduire ce dialogue : d’abord chercher à comprendre la détresse de la personne qui s’ouvre à nous ; puis lui témoigner notre soutien ; ensuite l’informer ; enfin, ne pas flancher. Expliquons cela.

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 En s’ouvrant à nous, l’amie qui se demande si elle doit ou non avorter choisit de nous témoigner sa confiance. Une porte s’entrouvre, la délicatesse est de mise. Quand un exercice ou une opération demande du doigté, on sait par expérience qu’une maladresse peut tout gâcher. Autant que possible, mettons-nous à la place de l’autre. Non que nous puissions toujours nous figurer sa détresse présente, mais le sentiment de détresse lui-même ne nous est pas complètement étranger : représentons-nous les mouvements de notre âme paniquée et prise au piège. Dans ces moments-là, notre capacité à raisonner lucidement, « froidement », est comme anesthésiée : ce n’est pas le moment des démonstrations abstraites, capables seulement d’outrer l’âme agitée qui a besoin d’un tout autre remède.

La personne qui se sent prise au piège n’a d’ailleurs pas besoin, dans un premier temps, que vous lui fassiez la leçon. Or tout ce que vous pourriez lui dire sentira la leçon, car, pour elle, l’heure est avant tout au déballage. Si vous parlez d’abord, vous lui donnerez l’impression de pontifier sans rien connaître à sa situation, perçue comme irréductible à n’importe quelle généralité. C’est sans doute une erreur de perspective, mais nous avons toujours tendance à penser que notre cas personnel est bien plus qu’une énième instance d’une situation plus commune qu’on ne l’imagine. Le sentiment de panique accroit encore cette méprise, et il faut en tenir compte. La première chose à faire sera donc d’écouter avant que de parler. Écouter en communiquant le sentiment de notre disponibilité car, comme le dit Grey, « les gens n’ont pas seulement besoin d’être écoutés, ils ont besoin de sentir que vous les écoutez » (Love Unleashes Life, p. 114).

Nulle hypocrisie ici : c’est précisément pour ne pas sombrer dans cet écueil que vous avez ravivé en vous le souvenir d’un moment d’angoisse, pour mieux entendre la détresse d’autrui. On connaît le mot fameux de Térence selon lequel « je suis humain, et rien d’humain ne m’est étranger » (Le bourreau de soi-même, vers 77) : à moi, donc, de ne pas me rendre étranger à l’inquiétude de mon amie. Nous justifions ainsi la confiance qu’elle a placée en nous en venant nous parler ; et, à l’exposé de sa détresse, nous pourrons alors donner une réponse circonstanciée.

La première réponse, la seule qui soit vraiment audible, est la compassion : « Tu es vraiment dans une situation difficile ; je suis désolé d’apprendre ce qui t’arrive ; ça doit être très dur. » Si vous êtes un homme, avouez que vous-même peinez à vous représenter combien une grossesse non désirée peut être difficile. Avoir commencé par reconnaître la situation délicate où se trouve votre amie lui donne l’occasion de vous expliquer pourquoi elle pense à l’avortement comme à une solution. Elle ne veut certes pas avorter pour avorter, elle veut résoudre un problème et pense à l’avortement comme à un moyen en vue de cette fin. Or ce problème, quel est-il ? Est-ce un problème d’argent ? une pression familiale ? un malencontreux concours de circonstances ? Il est important de bien identifier un motif pour ne pas donner ensuite à votre amie une suggestion générale, mais un éclairage se rapportant directement à sa situation concrète. S’il s’agit d’argent, pouvez-vous l’aider ? ou la mettre en relation avec des personnes susceptibles de l’aider ? Parlez-lui de Choisir la Vie, de la Fondation pour la Famille ou d’une autre association dont le propos est précisément d’offrir un soutien à qui en a besoin : la grande presse et les médias ne font pas de publicité en ce sens ; et les gens désemparés ne connaissent parfois pas l’existence d’une alternative à l’avortement. Certaines femmes croient devoir avorter parce qu’on leur présente seulement cette « solution » qui n’en est pas une, et qu’on se garde bien de mettre en avant les alternatives, qu’il s’agisse de filières d’adoption, de soutien financier ou même de soutien moral : parfois simplement une oreille compatissante acceptant d’entendre leur détresse…

Il y a plus : en apprenant le motif pour lequel la femme enceinte croit devoir avorter, il est possible de l’aider à énoncer ce qu’elle pense vraiment de l’avortement comme tel. Si elle fait valoir la précarité de sa situation financière ou la pression familiale, demandons-lui si elle penserait encore devoir avorter avec plus d’argent ou une famille plus compréhensive. Dans bien des cas, elle répondra sans doute qu’elle n’avorterait pas « si les conditions étaient différentes ». Cet aveu est capital : il lui permet de verbaliser ce que son instinct lui dit de l’avortement, une chose horrible à laquelle elle ne voudrait même pas songer en d’autres circonstances. En énonçant cette simple vérité, la personne pourra petit à petit reconnaître que, si malheureuses que puissent être les circonstances en question, elles ne changent rien à la présence bien réelle d’un petit être humain qui n’est en rien responsable des difficultés entourant son entrée dans la vie.

[2]

 Le second point n’est que le prolongement du premier : la compassion manifestée précédemment n’a de sens que si elle se mue en soutien réel. La détresse isole ; c’est donc une consolation non négligeable de témoigner à une amie désemparée un soutien lui rappelant qu’elle n’est pas seule. L’homme seul est « un dieu ou une bête », disait Aristote (voir Politiques, livre I, chap. 2, col. 1252b) : comprenez par là que l’être humain a une nature sociale, aussi n’est-il pas bon que l’homme soit seul (cf. Gn 2, 18). 

Donner une adresse ou un numéro de téléphone est une bonne idée, mais votre amie se sentira moins seule si vous lui proposez de l’accompagner à une consultation auprès d’un praticien résolument pro-vie, d’une personne de Choisir la Vie, de la Fondation pour la Famille ou d’un autre organisme d’accompagnement des grossesses difficiles. À cette fin, nous devons avoir les bonnes informations sous la main : connaissons-nous un médecin pro-vie ? un membre d’une association qui défend l’être humain depuis le moment de sa conception ? Ainsi ne nous contenterons-nous pas de dire qu’il y a de l’espoir, nous donnerons la preuve tangible que ce ne sont pas des paroles en l’air mais des promesses solides offrant des alternatives concrètes. 

[3]

 Dans la mesure de nos moyens, et en attendant une rencontre avec un médecin ou une autre personne compétente et dévouée à la vie, nous pouvons déjà nous-mêmes donner à notre amie des informations pour l’éclairer sur la réalité de l’avortement, une réalité qu’elle a elle-même commencé d’entrevoir en verbalisant ses inquiétudes. Il est essentiel de dire la vérité sur l’avortement. Avec toute la délicatesse qui convient s’entend, mais sans la raboter ni la diluer dans le venin du mensonge. Le « pieux mensonge » est une contradiction dans les termes : un être raisonnable a droit à la vérité ; et c’est offenser sa dignité que de l’apaiser par un mensonge, même bien intentionné. Comme le dit très bien Stephanie Grey, « on peut certes dire la vérité sans la charité, mais il est impossible de se montrer charitable sans la vérité » (Love Unleashes Life, p. 118). Le maître-mot, je l’ai dit, est la délicatesse, mais celle-ci est une imposture si elle s’abaisse à recourir au mensonge pour parvenir à ses fins. Dans sa Tactique du diable, C.S. Lewis considère comme une manœuvre de l’Ennemi la fausse compassion qui pousse les gens à mentir plutôt que d’énoncer une vérité désagréable à entendre (cf. lettre 5). Or, quand le voile se lève enfin et que la dupe du « pieux mensonge » découvre qu’on lui a menti, elle a raison de se sentir trahie par des amis qui n’en sont pas vraiment.

Que direz-vous donc à votre ami ? La vérité sur l’avortement, tout simplement, qui est le meurtre délibéré d’un être humain innocent. Rien de très savant dans tout cela, mais seulement des observations dont tout un chacun est capable, les notions les plus élémentaires de la biologie, le bon sens surtout et l’honnêteté qui dit avec Boileau dans sa première Satire :

Je ne puis rien nommer, si ce n’est par son nom ; J’appelle un chat un chat, et Rolet un fripon.

Les images aussi sont particulièrement utiles, parce qu’elles font sur l’âme une plus forte impression que la plus habile démonstration. On peut se procurer une reproduction en plastique d’un fœtus âgé de quelques semaines pour le montrer à notre amie et lui faire prendre conscience de ce que détruit l’avortement. Nous pouvons aussi l’accompagner à une échographie : dès la sixième semaine, le cœur bat ; les mouvements sont perceptibles à partir de la huitième semaine, et la forme du petit homme ne laisse aucune place au doute sur son humanité.

Si, connaissant votre amie, vous pensez pouvoir l’envisager, montrez-lui une vidéo où l’on voit un avortement : curetage, démembrement, etc. Cela dépendra de la sensibilité de la personne, mais un électrochoc peut se révéler salutaire. Je l’ai dit, la personne croyant devoir recourir à l’avortement ne veut pas l’avortement pour lui-même, mais les circonstances de cette grossesse indésirable lui font horreur. Les images révélant la vérité sur l’avortement pourront lui inspirer plus d’horreur encore et lui feront comprendre qu’un acte aussi monstrueux n’est décidément pas une solution acceptable à sa détresse.

Là encore, prudence et délicatesse sont de mise pour faire entendre que nous cherchons seulement le meilleur pour notre amie et son l’enfant. Une analogie le montre bien : « Suppose », direz-vous, « que tu boives par inadvertance un verre de poison. Puisque tu ignorais que c’était du poison, ton geste n’était pas suicidaire, mais ses conséquences n’en étaient pas moins dramatiques. Suppose maintenant que tu ignorais la présence de poison dans ton verre, mais que moi, je le savais. Si je te vois sur le point de boire et que je ne te dis rien, ne serai-je pas en partie responsable de ta mort ? Eh bien, pour ce qui est de l’avortement, j’ai de bonnes raisons de penser que c’est toujours une catastrophe : la mort d’un être humain et une terrible blessure pour ceux qui posent un geste irréparable. Si, sachant ce que je crois savoir, je ne te dis rien, ne suis-je pas coupable de garder par-devers moi une information vitale, comme je serais coupable en gardant le silence à propos de la coupe de poison ? »

[4]

 Ceci nous conduit au quatrième point : nous devons garder une ligne de conduite d’une fermeté à toute épreuve. L’avortement est toujours un poison violent ; et il n’y a pas d’accommodement, de terrain d’entente, de concession à accorder à la culture de mort. Le compromis, en l’espèce, relève déjà de la compromission avec une  idéologie mortifère. Si votre amie veut malgré tout se rendre dans un centre d’avortement, ne l’accompagnez pas. Supposez que, regrettant son geste, votre amie repense plus tard à cette « charité » que vous lui aurez faite. Elle verra en vous le complice qui, par faiblesse ou fausse compassion, a en réalité facilité un meurtre. À l’inverse, votre refus catégorique de l’avortement sera la garantie de votre intégrité, de votre volonté de lutter pour la vie : « Si je t’accompagne pour donner la mort à ton enfant, ce serait une trahison indigne d’un ami. Si je veux le meilleur pour toi, je dois prendre aujourd’hui le risque de te déplaire en te disant non pas ce que tu veux entendre, mais ce qui, j’en suis convaincu, est le mieux pour toi. C’est parce que je t’aime que je préfère prendre le risque de te déplaire plutôt que de te complaire en te faisant en réalité du mal. »

*****

Ces quatre étapes peuvent nous aider à être vraiment les amis, les « prochains » de ceux qui nous ouvrent leur cœur. En écoutant leur détresse pour leur témoigner de la compassion, en offrant des les aider, de leur partager ce que nous savons, et en tenant bon quoi qu’il arrive, nous ferons notre devoir d’humanité à l’égard d’une personne qui pourrait, sans cela, devenir la proie des assassins qui prospèrent en exploitant la détresse des personnes fragilisées par les circonstances de leur vie. Voilà le devoir d’un ami, car un raisonneur peut vous donner des arguments judicieux, mais seul un ami a le pouvoir de vous transformer en profondeur. « Bref », écrit saint François de Sales à qui nous laisserons le mot de la fin, « qui a gagné le cœur de l’homme a gagné tout l’homme » (Introduction à la vie dévote, 3ème partie, chap. 23).

Stéphane Mercier

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